à propos de l’article #222

Tous les ans, à l’approche du mois de Ramadan, le débat est relancé à propos de cet article du code pénal marocain :

Article 222

Celui qui, notoirement connu pour son appartenance à la religion musulmane, rompt ostensiblement le jeûne dans un lieu public pendant le temps du ramadan, sans motif admis par cette religion, est puni de l’emprisonnement d’un à six mois et d’une amende de 200 à 500 dirhams

Au delà des approximations « orientalistes » que comporte cette formulation (qu’est-ce que l’appartenance « notoire » à la religion musulmane » ? ou encore la rupture « ostensible » du jeûne ?), l’esprit de l’article est source d’un clivage profond qui tiraille la société marocaine.

Les partisans de l’application de cet article (certainement une majorité) revendiquent essentiellement des arguments d’ordre religieux : Le Ramadan est un pilier de l’islam que le Pouvoir se doit de faire respecter. En plus, la rupture du jeûne est une provocation qui porte atteinte aux sentiments des fidèles et qui mérite donc sanction au même titre que l’exhibitionnisme par exemple : Après tout, on ne se ballade pas cul-nu dans la rue impunément sous couvert de liberté individuelle !

Un autre argument (surprenant) en faveur de l’application de l’article 222 consiste à le voir comme une protection pour les dé-jeûneurs contre la vendetta populaire, et que son application est nécessaire  en attendant une évolution sociale profonde.

Les détracteurs de l’application de l’article (dont je fais partie, vous l’auriez deviné :p) dénoncent une sanction (démesurée qui plus est) d’un acte relevant de la liberté individuelle, et qui ne met aucunement en péril l’intégrité d’autrui : en quoi la vue d’une personne « notoirement connu pour son appartenance à la religion musulmane » choque-t-elle les fidèles ? seraient-ils aussi choqués si la personne concernée ne l’était pas ? et puis s’il fallait préserver les piliers de l’islam, ne serait-il pas plus judicieux de commencer par la prière qui est « عماد الدين » et l’aumône « الزكاة » dont les conséquences seraient encore plus visibles sur le plan collectif ?

Ils précisent également que sur le plan législatif, la punition des dé-jeûneurs est illégale. En plus d’être contraire à la Constitution qui garantit la liberté du culte, rien dans la tradition musulmane ne parle d’une quelconque sentence (حدّ) applicable à celui qui rompt le jeûne. Par conséquent, ceux qui défendent cet article au nom de la religion perpétuent au contraire une hérésie (بدعة), et contribue maintien d’une hypocrisie sociale insensée.

Pour ce qui est de la protection des dé-jeûneurs de la colère des foules, ceci équivaut à protéger les citoyens du vol en leur interdisant la possession de biens de valeur ! la logique voudrait plutôt que ce soit l’agresseur qui soit puni et non l’agressé.

à l’origine, il faut se rappeler que l’article 222 est introduit au premier code pénal post-colonial du Royaume (rédigé par des juristes français), très probablement dans un soucis de préservation de l’ordre public, mais aussi  dans l’objectif d’asseoir une symbolique d’une société musulmane, pilier fondamental de la nouvelle monarchie. Le rapport de la société à cette question a, parait-il, évolué progressivement vers plus de durcissement alors que des récits de personnes ayant vécu l’époque racontent que, à l’exception d’une élite lettrée des grandes villes, une majorité de marocains était, au contraire, peu assidue à observer les rites (prière, jeûne etc.).

En l’espace d’un demi siècle donc, la société marocaine, sous l’impulsion de facteurs multiples, a évolué vers plus de rigidité au regard des questions religieuses. Elle a troqué sa pluralité et sa diversité contre un modèle social unique, de plus en plus oppressant, et une vision importée de l’islam qui est incompatible avec la diversité de notre société.

Si la volonté politique y est, je crois sincèrement que la société est disposée de faire le chemin inverse, vers plus de liberté et de respect de la différence. La société est beaucoup moins conservatrice que l’on peut croire, la preuve étant l’adaptation de celle-ci suite à la modification profonde du code de la famille, sujet hautement tabou s’il en est. Il suffira alors d’adapter l’arsenal législatif en l’alignant sur l’esprit de la Constitution, garantissant les libertés individuelles, particulièrement la liberté de culte. Ainsi, les lois pénalisant le sexe hors mariage et la consommation d’alcool, entre autre, doivent être abrogées, au même titre que l’article 222. Plus encore, les textes doivent sévir en cas d’atteinte à l’intégrité physique ou morale pour dissuader tout d’un citoyen.

Dans un tel contexte, la crainte donc d’un lynchage populaire à l’endroit d’une personne qui aurait fait le choix de ne pas jeûner (ou de ne pas se marier, ou de coucher avec une personne du même sexe etc.) n’aurait plus aucun sens. Là seulement on pourra tous coexister en paix, tous vivant épanouis et fiers au même titre que le pratiquant vivant pleinement sa foi. Une société stéréotypée et uniforme restera prisonnière de ses certitudes, c’est la culture de la différence et le vivre ensemble qui fait avancer les civilisations.

 

4 commentaires sur « à propos de l’article #222 »

  1. Tu ne fais que reprendre ce qui a été dit, t’es absent dans l’article sauf dans un paragraphe…le mieux est de traiter cette question dans son optique juridique et philosophique :
    – L’abrogation d’une disposition de loi et faits sociaux ;
    – La « constitutionnalisation » de l’Islam : Quel islam ? pour Quel citoyen ?
    – Les libertés individuelles et minorités (religieuse, politiques, idéologiques…)
    – La morale against Liberté : peut on les concilier ?
    – Peut on parler d’un État libéral, tel reconnu dans les systèmes politique, et dont la religion est l’islam ?
    – Le referendum et volonté du peuple ;

    C’est très compliqué ! Mais bon !!

    Bravo pour cette initiative qui nous fera sortir du caractère satirique du tweetoriaum.

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    1. Merci beaucoup ma3ali lwzir 🙂 l’idée du blog est d’exposer brièvement mon opinion sur les sujets que j’aborde, sans pour autant avoir l’ambition de faire un travail intellectuel poussé (je ne crois pas avoir la compétence pour), ce sont juste des khawatir 🙂 Sur ce sujet en particulier, tout était dit effectivement ailleurs, mon input est plutôt dans les deux derniers paragraphe où je développe ma conviction et ma vision (subjective) des choses.

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