Pourquoi je ne voterai pas (jamais?)

A l’approche de chaque scrutin, les voix appelant à voter se multiplient en avançant des arguments parfois populistes et vides de sens, sans vraiment expliquer les conséquences de ce vote. Dans ce qui suit, j’essayerai de partager la position contraire, en expliquant les raisons qui me poussent à boycotter toutes les élections.

Le système démocratique

Bien qu’il soit le meilleur système dont nous disposons à l’heure actuelle pour « distribuer » le pouvoir, le système démocratique présente, dans son implémentation contemporaine, de réels motifs d’insatisfaction.

Tout d’abord, le système donne le droit à tous les citoyens de décider du sort de la nation de manière équitable. L’idée est belle, mais elle suppose une égalité sociale et intellectuelle dont nos sociétés actuelles sont très éloignées. Une majorité des électeurs ne connait pas le fonctionnement des organes qu’elle s’apprête à élire, ni leurs pouvoirs. Elle ne connait pas non plus les acteurs politiques, ni leurs idéologies. Elle ne connait surtout pas la réalité du pays et les enjeux à adresser. Le vote d’une minorité éclairée et consciente des enjeux se trouve donc dilué dans une masse de voix quasi-arbitraires, remettant ainsi en cause la justesse des choix (Je renvoie vers un autre article – à propos du #BRexit – où je m’exprime plus en détail sur ce sujet – et propose même quelques solutions).

Une autre limite (révoltante?) du système, et qui fausse encore plus le choix de l’électorat, est le fait de tolérer ce qu’on appelle des campagnes électorales. Ce ne sont pas des campagnes d’information pour éclairer l’électeur dans ces choix mais plutôt des campagnes publicitaires visant à influencer l’électeur. Comme pour chaque publicité, le client n’achètera pas forcément la meilleure lessive mais la lessive dont le fabriquant a mis plus de moyens de communication ! dans le cas marocain, les partis ne s’encombrent plus de programmes électoraux lors des campagnes. Même les noms des partis sont troqués pour des symboles plus parlant à un électeur analphabète. Les flyers des partis politiques (plutôt des marques qui polluent le paysage lors de la campagne) sont plus des tracts publicitaires que des fiches d’information.

La spécificité marocaine

En plus de ces contraintes structurelles inhérentes à la pratique démocratique, le cas du Maroc présente en plus des aberrations qui vident totalement le processus démocratique du peu de sens qu’il lui reste.

A tous les étages, le système politique présente une dualité amusante : Ceux qui gouvernent au Maroc sont comme les Siths, ils vont toujours par deux ! Pour chaque élu disposant d’un mandat populaire et responsable devant son électorat, un « tuteur » est nommé hors du circuit démocratique et interfère fortement avec les fonctions de l’élu (L’autorité locale vs. la commune et le conseil de la ville, des conseillers et des organismes publics indépendants vs. un parlement et gouvernement, etc.). Cette structure bicéphale, dont la moitié échappe au jugement de l’urne, rend l’exercice électoral presque absurde.

L’establishment ne se contente pas de cette dualité pour mettre sous contrôle la voix du peuple, mais use d’artifices plus sournois. Le découpage électoral est ainsi un moyen efficace pour contrôler l’issue du scrutin, en positionnant à bon escient des réservoirs de voix, d’autant plus utiles que le prix de la voix est au plus bas ! Ensuite vient le système de listes : en plus de réguler les attributions de sièges (il y a des cas où un parti ayant plus de voix remporte moins de siège que son concurrent !),  ce système provoque une coupure franche dans la transmission du mandat populaire, dans le sens qu’un électeur qui voterait pour une liste impersonnelle avec un programme, mais voit siéger dans le parlement un député qui n’est presque plus tenu de respecter les engagements de la liste (en tout cas en l’absence de partis forts), et sur lequel l’électeur n’a presque aucun pouvoir de sanction. D’autant plus que la majorité des partis ne fait rien pour tenir leurs élus (khouna Moncef en sait quelques chose !).

Les partis, justement … Malgré le foisonnement des partis, l’offre politique au Maroc reste extrêmement pauvre. Les partis, même les plus grands, ne disposent pas d’organisation ni de moyens (ni de volonté ?) pour stimuler le débat public et pour créer des vocations. Il y a aussi une absence quasi totale de tout clivage politique, puisqu’il y a un consensus « a fortiori » sur les grandes questions stratégiques de la nation comme le Sahara, les choix économiques, la laïcité etc. Cet alignement idéologique est à la fois le résultat de l’opportunisme de ces partis, mais aussi une conséquence naturelle de la concentration et la sacralité des pouvoirs. C’est un peu pour cela que toutes les alliances qui se forment après les élections sont à la fois compréhensibles et dénuées de sens.

L’enjeux démocratique

L’enjeux de l’exercice démocratique est double : il s’agit pour le citoyen de s’exprimer et que sa voix soit prise en compte dans la gouvernance de son pays, et pour l’Etat (plutôt les autorités) d’acquérir une légitimité sur le plan international.

Comme il est expliqué plus haut, la voix du citoyen est vidée de sa substance. L’enjeu qui subsiste donc est celui de l’Etat de communiquer sur son processus démocratique : Le seul effet mesurable du vote est l’augmentation du taux de participation, indicateur majeur pour mesurer le succès du scrutin pour la communauté internationale.

Faute de leviers d’action plus concrets à court et moyen termes, il est presque un devoir, à mon sens, que de marquer clairement son rejet de ce système. La participation au processus de quelques manière que ce soit est une caution apportée à ces dérives. Alors que le vote blanc n’est pas pris en considération, le moyen le plus efficace qui reste est de s’inscrire sur les listes électorales ET ne pas voter. Mécaniquement, le taux de participation sera impacté négativement, et ceux qui veulent bien entendre y liront un rejet clair de ce triste spectacle.

Comme pour le reste des problèmes que nous vivons, le salut pourrait venir peut-être de la communauté internationale, qui mettrait encore plus de pression pour accélérer le processus démocratique, et avec un peu de chance, un taux de participation au plus bas pourrait réveiller aussi les consciences en interne et pousser à un changement profond.

Sur le long terme, et en l’absence de partis politiques moteurs de changement, les intellectuels doivent aussi se saisir de la question démocratique et prendre part pleinement au jeu en informant, en critiquant. A un moment donné de son Histoire, toute démocratie a eu des Hommes qui ont théorisé et défendu ses valeurs.

Laisser un commentaire